Écouter Isabelle Courroy, c’est d’abord prendre la mesure de son audace. Cette audace est transgressive pour la musicienne qui s’empare de la flûte kaval. En choisissant d’en faire son instrument d’élection, en prenant en main cette longue flûte oblique des bergers des Balkans et d’Anatolie, elle attire vers elle, crânement, l’expression d’une masculinité virile et solitaire, relançant jusqu’à nous les assignations de genre qui ont longtemps pesé, en Europe même, sur la pratique des instruments à vent. En devenant la première femme soliste à jouer du kaval, bravant l’exclusivité de ses usages masculins qui s’accompagnait d’une transmission, elle aussi généralement masculine, Isabelle Courroy nous permet de prendre la mesure de cette longue histoire, au moment même où elle la transgresse.
Car s’il y a bien, dans le geste même de la musicienne, une transgression, elle passe par les sons et les rythmes, elle se donne à entendre par la musique même, et voilà pourquoi il convient d’en prendre la mesure. C’est celle des grands espaces qu’elle convoque. Cette tradition musicale nous revient recomposée par son oblicité : ainsi prise en main, la voici qui se fraye un chemin par la béance, chargeant le son d’une matière viscérale, où vibre encore la racine arabe et persane du nom même de Kaval, Qwl, la Parole en arabe, la Promesse en persan.
Ainsi, grâce à la hardiesse d’une instrumentiste passionnée, le kaval se trouve comme augmenté. Le souffle masculin de la tradition est emporté plus au large encore par la puissance de la création féminine, puissance transgressive et oblique qui donne son sens pleinement musical à la notion de prise de parole, au présent de la création d’une soliste.
Mélanie Traversier – Extrait livret Confluence#2 – Le chant des sources